Elle s’admirait dans la glace.
Son reflet l’auto-hypnotisait. Elle aimait ses pommettes hautes, ses yeux de biche, ses cheveux d’un noir qui flamboyait de façon surnaturelle, et, surtout, surtout, tout ce qu’il y avait par-dessus ça, et les signes de richesse et de bonheur que cela envoyait à la face des autres, de tous les autres.
Son mec à la coiffure gélifiée et ses traits taillé à la serpe, comme dans les séries, ses fringues à elle, toujours inédites et toujours bien portées, ses propres regards de biais pour observer si « les gens » se retournaient sur sa démarche chaloupée, ses prétentions sportives et saines et gourmandes tout à la fois, ses susurrements lorsqu’elle prononçait « mon chéri » pour parler de son compagnon, tout cela lui était exquis, en permanence exquis. Comme une jouissance perpétuelle qui lui permettait de sentir à quel point elle croquait la vie à pleines dents.
Vinrent les ténèbres… Les ténèbres d’un virulent virus, qui allait foudroyer le monde entier. Elle ne le vivait pas, ce virus. Elle s’en fichait, à vrai dire. Ca touchait des populations pauvres, à l’autre bout du monde. Ca arrivait petit à petit vers son monde à elle, mais ça touchait de très vieilles personnes, et, sans doute, des gens qui ne faisaient pas attention à leur santé.
Mais les TV, radios, internets, commençaient à déclarer qu’il était chez nous. Enfin, « chez nous », quelque part dans ce pays qui était le sien, mais pas chez elle, non. Encore des gens dont elle se fichait. De toutes façons, ils n’allaient pas se retourner sur elle, hein ? Et le virus, lui, allait-il venir la voir, elle qui déployait tant d’efforts et de budget pour afficher à tous sa bonne santé.
Ils l’annoncèrent… Cela se rapprochait. Il fallait rester confiné chez soi. Sans sortir, ou le minimum. Finis, coiffeur et esthéticienne toutes les semaines. Finies, les sorties running et les rendez-vous chez la nutritionniste. Finies, les déambulations serpentines et les séances de maquillage avec des produits d’un luxe à trois chiffres.
Le premier jour, elle se vit comme les autres jours. C’était doux, de sortir de la salle de bains en affolant son compagnon par ses tenues moulées, et son sourire de midinette, en prenant le temps de poser…
Le dixième jour, elle commençait à ternir. Les journées ressemblaient les unes aux autres, et elle commençait, elle, à ressembler à nombre d’autres personnes, ce qu’elle détestait par-dessus tout.
Son sport lui manquait, sa couleur n’avait pas été ravivée, et tous les jours, tous les jours, enfermée avec mari et enfants, lui pesaient. Plus de passants pour l’envier ou la désirer. Son « chéri » la désirait encore, mais elle le voyait moins entretenu que d’habitude, lui aussi. Plus courbé par le poids de ses quarante ans et celui des mauvaises nouvelles, et les élégants sillons verticaux de ses joues devenant des crevasses, et se découvrant des frères horizontaux sur le front.
Au bout du trentième jour, elle se regarda encore dans le miroir.
Elle haïssait ce qu’elle était, ce qu’ils étaient, tous, ses proches comme les gens qu’elle ne connaissait pas, elle-même et son foyer, elle devenait sans pitié.
Voir sa pilosité repousser malgré ses efforts, ses racines blanches et sa peau pas si tendue sans toutes ses crèmes, son corps qui s’empâtait à force de jouer les femmes de ménage dans sa maison, ses gamins criards élevés à coup de téloche, son conjoint qui survivait mieux qu’elle à tout ça, et dont l’aspect se situait à mi-chemin entre le factice et le naturel, un résultat pas très heureux.
Mais, surtout, surtout, elle. L’angoisse la transformait, le bien-être la délaissait, et elle se prenait en pleine face le côté illusoire de son bonheur acquis à grands coups d’artificialité…
Elle ne supportait plus rien, et le supportait moins maintenant qu’elle savait que l’apocalypse allait durer.
Elle savait, surtout, que ce bonheur enfui ne reviendrait jamais, jamais, maintenant qu’elle avait pris conscience de tout ceci.
Ses yeux tombèrent sur le rasoir de son « chéri ». Elle s’entailla, juste assez pour faire couler le sang.
Sur le grand miroir, elle écrivit : « Mon coeur est de glace, lorsque je regarde le miroir » et finit son œuvre.
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