Métamorphose.

 

« SURPRISE ! On a mis plein d’acide dans le punch ! Bonne année 2010 ! »…

-Merde. Putain. J’en avais déjà bu quatre ou cinq verres. Si pas plus. Fait chier, je déteste ça. Enculés !

1/ En mode Highlander.

La pièce commençait à se transformer un peu. Je ne suis pas un ange, hein ? J’ai eu ma jeunesse parsemée de rave(s)-party(s) et de concerts garages, de festoches officiels et officieux, à m’en rendre presque sourd à quasiment quarante ans. Je ne suis pas un lapin de trois semaines, quoi. Dans le genre jamais d’équerre toujours de travers, je suis quelqu’un d’instruit. Mais là… J’avais vraiment pas prévu la chute.

Une soirée de nouvel an à l’arrache, en compagnie de connaissances que je connaissais à peine et que j’avais pas croisées depuis vingt ans, sous l’impulsion d’un pote qui répétait  « ça va bien se passer, mec – et puis de toutes façon on n’a pas le choix, parce qu’improviser un réveillon la veille, normalement, ça se fait pas ! »

Bref j’étais involontairement parti pour affronter les montagnes russes du L.S.D. à très haute dose. Pas fier du tout, je vous le dit. Les papillons plein les yeux.

En plus, il y avait un gars louche, qui avait l’air de distribuer de la coke contre rémunération. J’ai réussi à négocier une ligne, gratos, avant de déguerpir. Manière de tenir une petite demi-heure before les montées d’escalade. Rapidos, j’ai sniffé et j’ai fui. Je ne voyais rien d’autre à faire.

Je hais l’acide !

Autant j’ai pu fumer des kilos d’herbe et de shit, me pochtronner comme un polonais jamais satisfait du pacte de Varsovie, me décaler la gueule à la MDMA, à la kétamine et même parfois à l’héroïne. Autant je peux pas piffer l’acide et ses mauvais trips introspectifs à la con ! Me rendent dingue. Par conséquent, il me fallait rentrer chez moi. Et vite ! Avant que ne sonnent les douze coups de minuit.

2/ Le loup

Ils en ont quand même infusé beaucoup, des buvards, dans leur cocktail de rhum, ces cons ! J’aurais préféré des champignons mexicains, dans le genre plus doux et mieux pimentés, moins raides. Mais j’avais pas le choix. J’ai vomi ! Volontairement. Ce qui n’a pas eu l’air de changer quoique ce soit. C’était déjà passé dans le sang et, par capilarisation, entré dans mon cerveau.

J’ai l’impression de courir pieds nus sur des nuages encrassés de souffre. Je vole et je m’enfonce à la fois. Mon odorat me signale aussi qu’on est en hiver et qu’il fait froid sa mère, parce que mes narines et mes lèvres sont en train de geler. Plus rien n’a d’odeur, qu’une vague rumeur de carton-pâte. La lune est pleine. Les réverbères s’illuminent dans la fulgurance de mes pas. De toute façon, je ne sens plus mes jambes, alors j’avance.

Mes poils poussent et me grattent, à moins que ce ne soit mon pull irlandais ?

J’ai une haleine de bouc.

Je dois m’extraire de cette barre de carcans d’immeubles, droits comme des "i" et menaçants comme des "z". De cette horrible banlieue qui m’enserre, à m’en empêcher d’y retrouver ma respiration. Et ces gaz d’échappement ! Et ces pierres de temples -et ces caveaux ancestraux qui puent la mort ! Je suis traqué. Par qui ? Par toi ? Par moi ? Je ne sais pas trop… Toujours est-il que je rejoins les champs, hors de la ville, ce qui me semble être la seule et bonne option qui se présente. Je perds mon souffle. Je cours. Jusqu’à l’orée du bois. Où nulle civilisation ne saura m’enfermer.

Pause. Instant de conscience. J’inspire de l’air qui me paraît pur comme de l’eau de javel.

Je conchie vraiment ces saloperies d’acides !

3/ Le chat sauvage.

La cocaïne faiblit. Je me sais vulnérable. La cité s'est éloignée et ça, c’est déjà un truc de gagné.

J’ai, comme une plénitude insatisfaisante, la perception de remplir un vide intersidéral. Je miaule à la lune. Et cette conne me répond ! Et zut, je n'en attendais pas moins !

Fut une époque, on venait s’abriter des flics, dans ce coin-ci. Personne ne pouvait nous trouver, occupés que nous étions à faire fonctionner des Sound-Systems  à l’arrache, à l’aide de groupes électrogènes de seconde-main. Nous étions des Dieux. Mes potes se droguaient pas mal, mais moi, beaucoup moins qu’eux.

Ce devait être un champ d’orge, au temps des gaulois. Ou d’asperge, à l’époque des germains.

Les nuages, sombres et menaçants, forment un arc-en-lune phosphorescent ! Le flip total. Ils se drapent de couleurs violentes, fauves et mouvantes, pour tromper mon esprit en quête de souvenirs -et de vérité. Ils me narguent et ils m’apeurent.

Mais je suis un lynx !

Prostré, en position fœtale, j’arrache à la terre nourricière une herbe glacée. Que je mâchonne. Pour ressentir quelque chose qui pourrait ressembler à un goût de réalité. On dirait du coton.

Les félins ont ce pouvoir magique de savoir d’instinct ce que la vie donne en échange de rien. Et ce que la vie reprend en conséquence de tout.

J’ai entendu battre le cœur d’une musaraigne. Je l’ai chassée. Je l’ai mangée. J’ai entendu les cloches du village d’à côté, qui vénéraient la nuit. Il devait être trois heures du matin.

Mon poil dru (ou mon duffle-coat) m’auront protégé des morsures du froid et de la mort subite. Heureusement que je connais bien les lieux. Ces sentiers arpentés autant qu’étaient de fois les pas indécis de mon adolescence. Je suis chez moi ! Bien qu’encore très loin de l’âtre protectrice…

Je plane, mais grave de grave, je plane ! Et puis j’ai du mal à me rouler une simple clope. J’ai même pas un joint en poche.

4/ L’aigle noir.

Quand elles résonnent dans le néant, les cloches d’antan, entre les gens qui dorment et ceux qui prétendent exister : Elles te donnent l’impression d’une répétition sans fin, qui s’imprime dans ton crâne. Un incessant son de va et vient. Comme un mix improbable entre un morceau de trente-minutes des Pink-Floyd et une fulgurance métallique de Nin-Inch-Nails avec des nappes électro dignes du Future-Sound-Of-London. Le minimum syndical (façon quantiques sacrés qui te prennent le cerveau en mayonnaise diabolique).

J’ai l’impression de sentir mes dents pousser, comme sous une pluie givrée de musique graphique. Ma bouche est devenue dure comme pierre.

Je repousse un corbeau qui veut me défier l’usage de la chasse. Il est noir, comme la nuit que je fuis. Pareil au désespoir de mon cœur écœuré.

Des plumes me poussent sur les jambes et les bras. Cependant, c’était bien un cri aigu, qui s’échappait d’entre mes lèvres.

Je voudrais vraiment rentrer chez moi.

Mais je m’envole. Par delà les dimensions. Loin de mes sensations. Mes yeux fixés sur le monde et son avenir déclinant, bas.

Je suis un aigle et je vois fixement. Vos petites choses qui bougent.

Je vois chaque pixel de la réalité. La normalité. Construite par chacun, tel un mur de briques fabriqué sur des ruines des fermes déchues, qui puent le fumier d’ortie et la sueur des braves. Comme à chaque proie abandonnée. Je replie mes ailes et je fonds sur ma cible. Le plus simplement du monde. Je suis le monde.

Mes serres saignent d’avoir si longtemps erré. Et de m’être retourné de verve et de rage dans les airs, au dessus des pensées sauvages. Je n’en pouvais plus de vous.

Mais je rentrerai au nid.

5/ Apothéose.

Je suis enfin retourné chez moi.

Devant le feu de la cheminée. Crépitant d’étincelles improbables.

Les flammèches se transforment au grès de leurs pétillements artificiels multicolores, déversent leurs larmes mordorées jusqu’aux recoins de mon âme, recroquevillée. Elles brûlent. Encensent. Meurent. Ressuscitent. J’avais presque oublié ces conneries d’acide de merde !

Je suis un monstre.

Je crache des geysers de feu, en déployant mon squelette abimé, par delà vos toits. Je suis insaisissable comme un fuseau horaire. Plus profond que l’océan. Plus précis qu’une horloge. Plus lointain que l’espace. Vivant, encore plus que je ne l’ai jamais été.

Car dorénavant, je suis un dragon doré rouge au basilic crâmé ! Définitivement.

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plancton2000
oh bah, j'ai kiffé
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Justine
Comment ça s’enchaîne, on a pas le temps de respirer :O Ça en devient anxiogène
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MaHell
j'ai adoré, on sent le coté anxiogène et aussi parcours initiatique bizarre.
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