Texte du sujet: Voyages - Sujet 2 : Voyager par les sens

Le grenier sentait la poussière et l’odeur de grand-mère, comme tous les greniers, au final. Pourtant, on pouvait y déceler, avec un odorat bien affûté, une odeur plus lointaine, plus ancienne : une odeur d’herbe fraîchement coupée au début de l’été pour pouvoir en profiter durant les beaux jours, une odeur d’épices, de coriandre et de gingembre, de fruits bien mûr, de bière à l’instant décapsulée et de la piscine et des trois enfants qui jouent ensemble à l’intérieur, au fond du jardin.

Dans ce grenier, on voyait presque le testament de cette femme, ancienne habitante. On pouvait y déceler des tranches de vies, des photographies aux couleurs et aux visages changeants, des heures de dur labeur pour créer une vie stable et l’offrir à des enfants capricieux, des nuits d’angoisses tournées vers le futur, l’ouverture d’un pan entier de l’existence dans un restaurant de quartier et les rencontres, encore et toujours, remplies de bonté et d’expériences à réitérer.

Le grenier était rempli de bruits de souris, parfois chauves, et d’autres rongeurs en tout genre arrivés récemment ou présents depuis le début, présents près de cette vieille femme et de son laboratoire culinaire, de sa vie modèle, de ses envies cachées et de ses fantasmes jamais assouvis, de ses rêves gardés au chaud dans l’écriture penchée d’un carnet noirci par ses émotions et maintenant jaunis par le temps, des sorties nocturnes pour lesquelles elle se rebellait enfin, partait sans en avoir le droit.

La texture du bois du vieux coffre faisait penser à ces textures d’arbres peut-être aussi centenaires que l’était cette femme, à ces grands chênes qu’on ne dépassera jamais et qu’on ne voit plus grandir, à ces après-midi passés sur la balançoire que certains s’amusaient à bloquer, à ces parties de billes rondes facilement perdues dans les buissons, à ces mêmes buissons qui servaient de cachette pour les plus aventureux et à ces parties de jeux inventés sur le pouce et dont les règles importaient peu.

Presque sur un présentoir se trouvait un livre, écrit, seul. Un livre de cuisine écrit à la main et aux recettes multiples dont les goûts semblaient varier, voyager à travers les différentes cultures culinaires du monde, en allant de l’Asie à l’Amérique du Sud et en passant par l’Afrique, l’Europe et l’Océanie. La femme devait avoir beaucoup voyagé, vu tellement de choses. Il y avait, à la fin du livre, une liste d’ingrédients savoureux ainsi qu’une liste de magasins où les trouver pour le plus bas prix.

 

Ce grenier, on pouvait le visiter pendant des heures, aller à la rencontre de cette femme, de sa vie, mais en même temps, l’impression de n’être qu’un imposteur qui suit une vie qui ne lui appartient pas subsistait, restait, ne s’éteignait jamais.

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MaHell
c'est doux plein de nostalgie, un peu comme une chanson de Léo ferré.
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