Texte du sujet: La Ville - Sujet 5 : "Fantasy urbaine"

Je suis ta lumière sombre et ton ombre de sang.

Là, tu t’apprêtes à commettre l’irréparable. Plonger ta lame dans la gorge du méchant.

-Vois-tu mon reflet dans la vitre ?

-Vois-tu les rideaux sales changer de couleur ?

-Sens-tu ton bras se dégager du cou de ta cible, pour s’approcher du tien ? Mouvement fatal. Incontrôlable.

Plonger ton rasoir dans ta gorge de gangster…

Ta victime, plaquée dans son fauteuil, n’en croit pas ses yeux. Au dessus d’elle, tu te fais justice. Tu te donnes la mort !

Devant toi, depuis le miroitement froid de ta main baguée, l’acier glisse dans ta jugulaire.

Mon emprise est forte. Tu ne peux pas résister.

Et alors tu me vois. Et tu comprends ton geste. Ma vengeance !

Ton sang, qui n’irrigue plus ta tête, ne fait qu’un dernier tour. Hors de ton corps. Sur le plancher.

Tu trébuches avant de t’effondrer.

Progressivement, ta vue se brouille. Tout devient flou. Ecarlate.

D’abord, des couleurs vives. Psychédéliques. Acides.

La lumière pâle du néon de ton cœur succède aux lueurs vertes du dehors.

Puis, ton nez plonge dans la flaque. Goût de plaquettes. Amertume de ton propre sang. Tu ne peux plus respirer. Ton être ? Inanimé.

Tu étais le salaud. L’exécuteur des basses œuvres. Ceci entraînant cela, tu pars ! Exactement comme tu as vécu. Dans un spasme violent. Tu n’as que ce que tu mérites !

Je savoure ma victoire.

L’atmosphère de la chambre du motel s’assombrit, s’alourdit.

Là, c’est presque la dernière couleur. Le rouge qui teinte ton hémoglobine. Bientôt, tu ressentiras ce que j’ai ressenti.

Avant, le noir.

Après le blanc, immaculé.

Le regard écarquillé du jeune homme, que tu devais tuer, apeuré, contemple son bourreau mort. Il s’en tire bien, lui, pour cette fois…

Une image dans le miroir. Un reflet dans la rue. Plus rien.

Une silhouette furtive dans un rétroviseur. Des phares de limousine. Un journal ouvert sur le siège du passager. On y lit : « Une vague de suicide s’empare de la cité ».

Je ne fais que m’échauffer.

Pour l’instant, je dois réintégrer mon corps. Avant l’aube.

Au fil des reflets furtifs, des lampadaires, qui parsèment, ça et là, les rails de tramway, mon image s’abîme dans les brillances mouvantes des paillettes, dans les corsets moulants des putes imbibées d’alcool.

Je brille, d’un éclat fauve, dans la peinture pulsée d’un graffeur fou.

Je croise l’aiguille d’une seringue enfoncée dans la veine d’une jeune mère endormie.

D’un feu noir, je me consume contre les jantes chromées d’un pick-up, devant lequel des hommes en costumes flamboyants s’échangent des enveloppes scellées.

Les hommes d’affaires sont corrompus, les policiers sont corrompus. Les politiciens n’osent plus se regarder en face. L'horreur règne sur la ville.

Il y a Monsieur le Maire, agitant le bracelet de sa montre en or, à côté d’un bouton de veste en argent.

Les rebords d’un verre aux relents méthyliques, les cristaux d’une tête de marijuana, l’acier d’une paille à cocaïne, l’encre des billets faciles…

Le chien d’un revolver de collection. Le bouton-off, le bouton-on, d’une chaîne Hi-fi.

Je rentre chez moi.

L’avenue éclaire les fenêtres des immeubles anonymes, pendant que ronflent, lourdement, les employés ivres, les épouses ingrates et les enfants rois.

Puis, les contours de ma chambre. Mon image dans la glace. La dernière chose qu’il m’est encore possible de voir.

Mon corps, inerte, sur son lit d’hôpital. Chambre 123. Incapable de bouger. Mon œil gauche à demi clos. Je suis un reflet dans la nuit. Un ombre sanglante.

Demeurent vifs, mon esprit et ma revanche, que je savoure, pour me tenir vivant.

Comme autant de couteaux tranchants et éclatants, l’aube vermeille et lilas transperce mon iris. Insupportable douleur.

Mon acuité faiblit à mesure que le jour grandit.

J’entends la répétition lancinante des battements de mon cœur, rythmés par la respiration artificielle, depuis le haut parleur de l’appareil médical.

Le sarcasme des infirmiers qui nettoient ma bave, mon urine et ma merde.

Je m’endors, en attendant la lune. Discrètement. Comme un nouvel héros, tapis dans les artères de la ville.

Un de ces soirs, Monsieur le Maire, mon vieil ami, tu me le paieras !

Justice sera parfaite.

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