Texte du sujet: Érotisme, sujet 3 : "Quand ça ne prend pas..."

J’avais bu. J’en étais arrivée à mon stade habituel d’ouverture, c’est-à-dire qu’avec un peu de ferveur tout était possible à celui d’en face. C’était dans cette ville presque inconnue, comme lui ; il avait des qualités de faune, je me souviens, une voracité dans la vénération, l’amour des taches. Avec des êtres ainsi faits, je peux me reposer sur l’élan principal : il n’y a pas d’autres accrochages que ceux des mâchoires, et si quelque chose coince dans un antre ou sur une excroissance il suffit d’une ruade ou d’une tape avec la main pour remettre tout en place. Il était lourd et affamé, pesant sur mon corps, dans la rue, contre le mur, la tête enfoui tout entière ; je sentais qu’il était prêt à me saisir dans une main et s’accaparer son rêve. C’était bien. C’était ce qu’il fallait à ma quête néantissime, un par-ci, un par-là, un avec les yeux un avec les doigts.

                Il était brute comme un animal en désespoir, je crois que c’était du désespoir qu’il mettait au bout de sa langue quand j’étais allongée sur la table de sa cuisine la jupe relevée, la culotte disparue – du désespoir et un peu de dents, juste ce qu’il fallait de dents. L’ivresse de l’alcool est retombée, c’était du rhum arrangé pourtant. Mais je ne me suis pas remise à penser. Nous étions mal en point avec une grande emphase, chacun abattant son délire intérieur avec plus de force chaque minute passant. L’absence franche et sereine d’amour, et le dégoût qu’il m’avait d’abord vaguement inspiré, donnaient à cette nuit interminable une saveur indigeste, comme s’il était écrit partout sur les murs : « c’est mal », mais vraiment mal, contre le désir profond. Je n’étais pas venue pour en connaître plus sur le désir profond mais pour ouvrir mes profondeurs à des désirs sans fond, pour échanger avec cet être pas toujours si plaisant des gammes de fluides et de frottements. Il était bien dans son rôle tout le long, toute l’épaisseur, jusqu’à. Jusqu’à, jusqu’à, est-ce que j’aurais pu en faire plus, autrement, jusqu’à

                Je l’ai vu se débarrasser du préservatif, ça devait le gêner. Jusqu’à ça, non, pas encore. Jusqu’alors j’avais été abritée par un vaste nuage de trouble et de plaisir, mais avec ce petit geste est venue la peur. Des informations sans intérêt ont jailli dans mon esprit, Vaux-en-Velin c’est à l’est de Villeurbanne, je ne sais pas comment retrouver le métro, est-ce que j’ai prévenu ma sœur ? c’est le milieu de la nuit ; j’ai voulu bouger mais il avait ses mains sur mes mains et son corps si grand, si lourd, sur le mien aliéné et léger comme je ne m’en étais jamais rendu compte. J’ai paniqué. Jusqu’à ça ? Métro la soie, métro velours, c’était une bonne idée au début je me suis tempérée. Je l’ai regardé dans les yeux et je lui ai dit non (il me dira ensuite qu’il n’avait pas entendu) il m’a regardée dans les yeux et il m’a rien dit, si, je me souviens pas, (jusqu’à ça) si il a dit « SI », je sais plus, j’ai oublié, en tous cas il a laissé la capote inutilisable sur le côté du lit et pénétré mon sexe sans me lâcher des prunelles. J’ai répété non, je crois, mais qui sait, sur les draps rouges, j’étais immobile dans ma stase de terreur loin, très loin en dessous de son étreinte. Les yeux fermés ? Les yeux grands comme la peur ? Avant, j’avais su ce que c’est d’être chassée, dans la rue tard ou même dans la pleine lumière, mais jamais d’être attrapée. A l’instant je ne pensais rien d’autre qu’à ramper dans un coin de la pièce et disparaître sans autre nouvelles, et à tout ce qui pouvait arriver de pire, de oh bien, bien pire, puisque maintenant c’était décidé, il y avait son désir et il y avait mon consentement, qui n’étaient plus compatibles. Au moindre mouvement, à la seule seconde de son phallus dans mes muqueuses je ressentais plus fort le besoin vital, viscéral, sidéral et lascérateur de m’ouvrir le ventre en longueur et d’en sortir son organe bouffi d’orgueil et d’inconséquence avec mes boyaux sanglants. Finalement je me suis dégagée d’une secousse, il avait laissé aller ses caresses à moins d’emprise ; et moi tout en souhaitant acquérir les caractéristiques ontologiques d’un tas de cendres desséchées depuis deux-mille ans, j’ai dû parlementer sur le ton de la jeune fille épuisée de plaisir, parlementer pour obtenir du sommeil. Je ne voulais pas risquer qu’il s’énerve. L’hyène surprise seule, alors qu’elle dévorait un cadavre, par la panthère, courbe son échine idiote. Plusieurs fois il m’a réveillée.

Une fois rentrée, j’ai pris un bain, comme si tout pouvait se dissoudre dans l’eau brûlante.

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AirellaRed
C'est vraiment bien, bien, bien, décrit. C'est fort. Cette description introspective est fichtrement intéressante . Elle pourrait être utilisée pour éduquer. Pour éveiller (les consciences). Elle serait tellement plus efficace que des affiches, bordel! Ou pas, selon le public. Mais je pars du principe que ça pourrait, ouais.
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MaHell
c'est saisissant de glauque ! brillant !
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