La première fois que j’ai rencontré Léo-Paul, j’avais quinze ans. Je suis tombée immédiatement et irrémédiablement follement amoureuse de lui. Comment ne pas l’être ?
Il était tout ce que j’attendais d’un homme, exactement, et absolument, tout.
Gosse, il entassait dans sa cave des bouteilles en verre avec des messages à l’intérieur, en préparation du déluge, adolescent, il apprenait le langage secret des fleurs, adulte il avait fait tatouer sur son corps le premier article de la déclaration des droits de l’homme.
C’était un écrivain, évidemment, c’était un écrivain…
J’avais vingt ans et je me promenais dans les rues de Paris avec un tee-shirt sur lequel j’avais écrit, au stylo indélébile : « Connaissez-vous Léo-Paul Kovski ? » Personne ne m’a jamais répondu.
Parfois, je me raisonnais en me disant que je ne pourrais jamais le retrouver, que c’était impossible, qu’il coulait des jours heureux là-bas, au bord des Océans…
N’empêche, je l’avais dans la peau, Léo, ça ne s’oublie pas comme ça un premier amour.
J’ai navigué sur mes propres océans amoureux, dans chaque île j’ai cherché Léo-Paul, dans chaque homme j’ai cherché l'arche pour échapper au déluge, inévitable, les rêves d'amour absolu, le langage des fleurs et les mots tatoués, en creux. Et chaque homme, à sa manière, était un peu lui sans jamais l’être vraiment.
Un jour, j’ai renoncé.
Un jour, j’ai compris qu’aucun homme, jamais, ne pourrait prendre sa place.
Les soirs où mon cœur tire un peu trop la gueule, je pense à Léo-Paul, je crois qu’il m’attend même si je sais qu’il ne m’attend pas,
quelque part entre les lignes il y a peut-être un espace, à l’abri de la réalité...
Bien sûr, il en aimera toujours une autre.
Bien sûr, il ne saura jamais que j’existe.
Bien sûr, il ne me dira jamais qu’il m’aime.
Bien sûr, il ne vieillira jamais...
Peu m’importe.
Je l'aime quand même, en corps.
Son cœur tatoué à l'intérieur, en creux.
Entre les lignes...
Bien sûr, il en aime une autre.
Bien sûr, il ne sait pas que j’existe.
Bien sûr, il ne me dit jamais qu’il m’aime.
Bien sûr, je l'aime quand même, encore.
Peu m'importe.
Ça ne prend pas de place un livre de poche, ça tient sans problème dans un cercueil et même dans une urne.
Nos cendres enfin rendues aux Océans, je les aimerai nos cendres mélangées,
en fin.
Bravo
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