Toute ma vie j’avais rêvé de passer à la télévision. Quand j’étais petit, j’avais des yeux émerveillés devant Sabatier et « Sacré Soirée ». Il invitait toutes les stars, animait les samedi soirs du pays entier, habillé comme un prince dans un monde de strass, de paillettes et d’enchantements.
Je me souviens plus tard des « guignols », d’Antoine De Caune et de ses sketchs, du rire, de la folie sur les plateaux, de leurs conneries au festival de Cannes en plein direct.
C’était ce que je voulais faire. C’était ce que je voulais être. C’était ma voie pour m’accomplir. L’argent, le succès, la célébrité, la renommée, le respect et l’admiration… Les familles entières devant moi, devant leur poste, ensemble sur le canapé du salon. Un rendez-vous traditionnel, comme les messes d’autrefois. La masse comme fidèles, le poste comme paroisse et moi comme idole.
Arrivé à Paris à mes 18 ans, j’ai tout fais pour y entrer. J’ai tenté des stages, j’en ai eu quelques-uns. Pour porter des caméras, pour faire un peu de technique, pour préparer les plateaux. Je suis devenu chauffeur de salle pour le public d’un jeu télévisé stupide dont je ne me souviens plus du nom. Il fallait tourner une roue et selon le score on devait choisir entre une femme ou un dictionnaire, quelque chose comme ça. Je faisais applaudir ou rire les gens, mais moi, impossible de passer à l’antenne.
J’ai tenté de décrocher des rôles dans des téléfilms, mais je n’ai pu être que figurant dans des scènes de foules.
Je m’approchais chaque jour un peu plus du désespoir, mais je ne voulais pas renoncer. Et c’est là qu’est sorti « Loft Story ». Enfin un raccourcis, me disais-je ! Une opportunité ! Peine perdu. J’ai pris des cours de chant, mais recalé aux castings de la Nouvelle Star. Des cours de danse mais recalé à « Un Incroyable Talent ».
Un contact, qui s’occupait du recrutement de ce genre de shows, m’a dit que j’étais trop lisse. « Fréquente les boites de péquenauds de province, prend un style, je sais pas moi, tektonik, enfin adopte la connerie du moment, fais de la muscu parce que là, tu ressembles à rien, et on en reparlera ! »
J’ai suivi tous ses conseils. J’ai fréquenté le monde de la nuit, sa musique dance affreuse, ses strip teaseuses alcoolisées et son rythme effréné. Je me suis prostitué auprès de prétendus producteurs. Une fois. Deux fois. Dix fois. Jusqu’à tomber sur un vrai. Qui m’a dit « tu feras le PD de la bande, il m’en manque un, justement. Tu peux faire la folle un peu plus ? Non, plus que ça ! Allez ! Fais la folle, j’te dis ! »
J’ai fais la folle pendant toute la soirée, nu sous un tablier devant ses potes. Je les ai sucé un par un, en enchaînant les rails de coke. Tout le monde riait. Même moi. C’était pas si loin de mes soirées « normales »… Et finalement il m’a engagé. J’étais « La Folle », selon tous les titres de presse, de l’émission déclinante « Les Normands à Tokyo ». Alors que j’étais Picard…
Mais mon rêve commençait à se concrétiser, pas vrai ? C’était Moi ! Enfin Moi ! Le Moi qui brille devant les projecteurs ! Même si le vrai « moi » n’était pas vraiment « folle », ni même homosexuel, même si le vrai moi n’était pas Normand, même si le vrai moi n’a vu de Tokyo qu’un loft en carton pates et une bande d’imbéciles.
Même si je fus le premier à « quitter l’aventure »…
J’ai tenté d’autres castings, d’autres émissions. Sans succès.
J’ai tenté des castings de revival d’anciennes « stars » de télé-réalité. Sans succès.
J’ai tenté de participer à des « foires » de supermarché avec d’autres anciens « collègues ». Même là, on ne voulait pas de moi. Du vrai moi. Ou de l’autre moi. Je ne sais plus… D’aucun des deux en fait.
Des « agents » m’ont contacté. M’ont prit le peu d’argent que j’avais gagné. Jusqu’au dernier qui m’a redonné espoir.
« Youtube », m’a-t-il hurlé au visage, avec son haleine de whisky. « Internet !! LES RÉSEAUX SOCIAUX !! Enfin quoi t’es sur une autre planète ou quoi ?! Plus personne regarde la télé, les jeunes, leurs stars, c’est Youtube ! »
Moi, c’était la télé, que je voulais… Mais à défaut… N’importe quel écran ferait l’affaire. Il a organisé mon « Revival ». La folle fait du make-up. La folle donne des cours de séduction. La folle chante dans sa chambre. Puis on a eu des revenus publicitaires. De GROS revenus publicitaires. Un nombre d’abonnés parmi les plus hauts du pays. La presse reparlait même de moi. « Mais que va-t-il trouver encore, la semaine prochaine ? » se demandaient-ils tous.
Mais moi, je ne trouvais rien. Cest mon « agent » qui scénarisait tout, qui organisait tout. Les déplacements. Les comédiens. Les situations.
Le succès était lié à l’inattendu. Alors que les autres stars se spécialisaient dans tel ou tel type de vidéo (maquillage, voyage, humour…), moi, on me faisait faire n’importe quoi, ça passait du graveleux au sérieux, du lointain au quotidien, tout jouait sur la surprise, qui créait l’attente, qui créait « le buzz ».
Mais les gens se lassent.
De tout.
Même Youtube semblait se lasser, à recommander de moins en moins mes vidéos, et à payer de moins en moins de revenus publicitaires. Alors il fallait aller de plus en plus loin.
C’est quand on a filmé un cadavre dans la « forêt des suicidés » au Japon que tout a basculé. Qu’on est passé du buzz, parfois malsain, au franc « bad buzz ». Mais ça marchait mieux, financièrement, et au nombre de click. Alors on a recommencé. On a torturé des animaux. On est allé dans une maison de retraite pour se moquer des vieux. On a failli pousser une jeune dépressive de 15 ans jusqu’au suicide en dévoilant en direct son dossier médicale qu’on avait piraté dans l’ordinateur de son psychiatre. Le tout, hilare, bien sûr…
Je ne dormais plus. Je ne mangeais plus. Mais j’avais tout ce que j’avais rêvé, pourtant. Argent. Célébrité. Gloire. Certes, j’avais oublié le respect et l’admiration en route. Mais ça, ça ne s’achète pas avec un écran.
Je suis allé voir mon agent tout à l’heure. J’ai été ferme et j’ai dis : « pour la prochaine, j’ai un super scénario. Je VEUX qu’on le suive. » Il l’a lu. Il a hoché la tête. Il a dit « ça ne pouvait finir que comme ça, de toute façon. J’avais plus ou moins ça en tête aussi… »
Ma dernière vidéo sera un live. Mon premier et mon dernier, on l’a annoncé pour faire le buzz. Le nombre de connectés dépasse le million alors que je raconte tout. Depuis le début. Sans far, sans déguisement, sans artifice, sans fausse attitude. « Je vous avais promis une grosse surprise à 1 million, les folilous » (c’est comme ça que j’appelais mes « fans »… Si l’on peut dire.) « et on y est arrivé, merci ! Alors je crois que c’est le moment de dire au revoir… »
Hors du champ, mon agent vise soigneusement entre mes deux yeux. Je le regarde apeuré, « et si on arrêtait tout ? » voudrais-je demander. Sa bouche se déforme dans une moue de dédain, puis il tire trois coups de feu.
Rideau.
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